La porte se referme doucement.
Pas un regard en arrière.
J’ai dû vivre ça des dizaines de fois et l’impression est toujours la même.
Une nuit merveilleuse, entre joutes puissantes baignées de chaleur et caresses somnolentes.
Il m’a dit qu’il m’aimait.
Vite, trop vite peut-être…
Et ce regard qui fuit dans la lueur blanche du petit matin.
Je n’ai pas répondu à toutes ces promesses, juste acquiescé pour ne pas montrer d’espoir. On a remis ça, c’était fort, encore, j’en voulais encore. Mon appétit de lui grandissait à mesure que l’heure avançait jusqu’au seuil indécent où il sut qu’il était définitivement en retard pour aller bosser. Nos cris mêlés sonnèrent comme un glas, je ne sais pourquoi. Il allait s’habiller prestement, en silence… je savais qu’on ne se reverrait pas le soir, ni le suivant. Peut-être même jamais, bien qu’il prétende le contraire.
Il y a des choses que l’on sent.
Un nœud dans la gorge, rien pour évacuer. Pas envie d’aller en cours. Qui le saura au milieu d’un amphi bondé en ce début octobre ? Juste besoin de m’étourdir. Si j’allume cette saleté de chaîne hi-fi, c’est forcément l’envoûtante voix de la Callas qui va me faire fondre en larmes, elle y parvient toujours. Au cœur de mes amours décomposées, mon idéal vibre au grain de cette voix surgie semble-t-il d’un ailleurs que je n’atteindrais qu’en rêve.
C’est un fait : au terme d’une matinée sans un coup de fil, sans un signe laissé ça ou là dans la pièce pourtant exiguë, je me prends la réalité en pleine face. Ce qui m’épouvante, c’est que j’ai baissé ma garde, je l’ai laissé pousser la porte de mon cœur et il va le piétiner. Je me suis donnée pleinement , peut-être entièrement et je ne suis pas rassasiée.
Le cœur plein et mis à nu, le corps vide, trop vide…
Avec mes amants d’un jour, ce vide se comble sans peine et avec délectation. Mon cœur est soyeusement protégé au chaud, dans son armure.
Ce matin-là, ce n’est pas moi, je me sens vulnérable.
Le silence et quelques frissons de froid, les premiers.
Ah non ! Je ne peux pas le laisser me vampiriser de la sorte.
Quatorze heures. Je me décide enfin, j’appelle l’Autre, mon « étalon.»
Je l’appelle comme ça depuis plusieurs années déjà, certaines de mes amies ont le leur qui hérite parfois de surnoms tels que « mon homme objet », « mon plan-cul », « mon amant baiseur « ou autre « toy-boy », c’est pas malin et c’est cynique, je l’admets… mais comme quoi, ça existe dans les deux sens !
Je l’ai connu au lycée. Le genre de type à la beauté discrète mais néanmoins animale. Pas vraiment populaire ni bourreau des cœurs. J’aurais pu fondre comme une midinette à son contact mais voilà le hic : autant de répondant et d’intérêt qu’une télévision sans câble la nuit. Absolument aucun point commun entre nous et si ce n’était que ça… Une façade en béton armé provenue on ne sait d’où qui en fait un total handicapé des relations humaines. Vous me direz, un mec comme ça, on zappe !
Et bien non. Ce fut une sorte d’accord tacite entre nous. Un échange de bons procédés.
Au moins deux mois qu’on ne s’était ni vus ni appelés mais il était là, il a toujours vécu à quelques bornes de chez moi comme de ce studio de cité U. Il a dû sentir au son de ma voix que quelque chose n’allait pas peut-être car il a pris des pincettes pour me demander : « Tu veux toujours me voir ? »
Oui, ce jour-là, c’était de lui dont j’avais besoin. Son silence ne pouvait pas être pire et au moins, avec lui, je savais à quoi m’en tenir.
Une alchimie, au sens très physique du terme… pas besoin de mots. Il jette son sac à dos dans un coin et s’approche doucement de moi sans me laisser le temps de lui proposer un verre ou de la musique. Il s’empare de mon visage entre ses deux mains très chaudes et croise un instant mon regard qui s’emplit de larmes, je le détourne. Non, ne plus penser à ce matin, je souris. « Je peux ? » murmure-t-il contre ma bouche… Que lui arrive-t-il ? Il n’est pas si prévenant d’ordinaire. Un petit soupir de ma part lui répond et ses lèvres finissent de consoler le fruit de ma bouche qui tremble tant depuis des heures. Mes seins à peine couverts d’une fine tunique de lin turquoise se collent à sa poitrine et mes mains saisissent ses fesses petites et rebondies avec aplomb pour l’attirer vers moi. Je sens le désir tendre immédiatement son sexe contre le mien tandis qu’il caresse mon dos découvert, se baisse légèrement pour s’emparer de mes deux cuisses et remonter l’étoffe qui me révèle aussi nue et dorée qu’une plage virginale.
Assoiffée d’oubli, je me noie dans son souffle brûlant, ses caresses si précises et sa tendresse. C’est le seul moment où il sait les prodiguer. Dans ma tête, des images de la nuit se superposent au présent… je les chasse d’un coup de griffe intempestif. Mon amant frémit de cette initiative peu conventionnelle et semble apprécier grandement puisqu’il m’emporte sans ménagement sur le lit.
Tranquillement, avec calme et quiétude, il finit de me débarrasser du lacet dans mon cou et je m’abandonne à sa langue exploratrice qui effleure, lèche et sonde mes reliefs et mes vallées.
La jouissance s’installe, s’amplifie, dure… nous nous voyons si peu et nos corps se connaissent pourtant par cœur. Comme dans un ballet réglé à la perfection, chaque geste s’enchaîne au soupir qui l’invite, chaque seconde s’emplit d’un parfum de stupre et de délice qui soulage peu à peu mon cœur à vif.
Le plaisir foisonne, je ne peux pas le regarder dans les yeux. Il ne me voit pas non plus… Nous sommes tous les deux concentrés sur cette source infinie qui nous abreuve et nous transporte sans écueils. D’un geste gourmand et possessif, ma bouche s’empare de sa queue frémissante. Je n’en ai jamais vu de pareille, douce et savoureuse ! Elle se dresse d’une belle taille, arrogante de sa capacité à me faire jouir à tous les coups, à tenir sous mes assauts jusqu’au bouquet final, à tous les coups oui…
« Qu’est-ce que tu suces bien… » Voilà les seuls mots qu’il m’ait jamais offert lors de nos ébats et cette fois-ci je ris franchement au risque de casser l’ambiance.
« Pourquoi tu ris ? »
« Parce que tu dis ça à chaque fois. »
« Je le dis parce que c’est vrai. »
C’est tout lui ça, pragmatique et cru, même pas pour faire grimper la température, juste pour être franc.
Il ne dira rien d’autre et je retourne à cette activité qui m’excite tout autant sinon plus que lui. Au bord de craquer, il me soulève pour revêtir une capote. Il ne veut pas que je le fasse. Méthodique et assuré, je sais qu’il fera de même toute à l’heure lorsqu’il la fera disparaître dans une poche de son sac (même pas dans ma poubelle !) Aucune trace de nos retrouvailles renouvelées ne subsistera dans cette pièce. Pas même dans mon cœur.
D’un mouvement décidé, il se glisse sur le côté et s’enchevêtre à mes jambes pour m’offrir ce qu’il préfère, la posture de l’Etoile. Sa longue hampe me possède et glisse lentement pendant que ses mains multiples jouent de somptueux accords. J’ai peu de marge, je me laisse aller à ces douces sensations jusqu’à ce que mes spasmes s’amplifient et que je veuille reprendre le contrôle. Notre union se termine dans une chevauchée sauvage où je peux enfin me libérer de toute cette tension : je suis l’amazone échevelée et redoutable, lui le fier et fougueux étalon qui a mené la danse et enfin dompté à ma mesure.
C’est au moment où je m’effondre sur lui que le cours de nos vies reprend. Déjà.
Nous n’en parlons jamais après, à quoi bon ?
Je n’ai jamais saisi les troublants paradoxes de ce garçon et ce n’est pas faute de lui avoir tendu des perches. Tout en se rhabillant, il bavarde de tout et de rien, des potes de lycée que j’ai perdu de vue, de ses vacances d’été en Espagne, de la déco de son futur appartement, des enfants qui naissent autour de lui et de la météo… Rien de lui, rien de moi.
Il reste un long moment, jusqu’à la nuit tombée. Sa présence et même son mutisme emplissent le silence de la pièce, me font oublier le téléphone qui ne sonne pas.
Il m’a possédée, je l’ai possédé. Nos cœurs restent libres de toute attache. Je le regarde partir sans aucune amertume ni question.
Ne jamais tomber amoureuse de son étalon.
^v^